jeudi, novembre 21, 2024
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Ghalia Damak, CEO de Compo Roll

En faisant un tour en Tunisie, le constat est édifiant : les poubelles sont partout, les déchets jonchent les rues et plusieurs décharges sont déjà saturées. En l’absence d’une législation claire, le pays croule sous ses détritus ce qui en fait le troisième pays en Afrique en termes de pollution environnementale après l’Égypte et l’Algérie avec un taux de pollution estimé à 75.12%, d’après la Fondation Heinrich-Böll. Pourtant, les solutions existent. Il suffit juste de beaucoup de volonté et de persévérance, deux des principales qualités de Ghalia Damak, une jeune tunisienne qui a décidé de changer les choses à son échelle. En effet, la jeune femme a lancé Compo Roll, une startup qui valorise les déchets organiques en les transformant en compost. Quand on sait que chaque année, les Tunisiens produisent 2.8 millions de tonnes de déchets domestiques, dont 70% proviennent de matières organiques et que 50% de ces restes de cuisine et de jardin est compostable, l’idée de créer cette startup est devenue une évidence pour Ghalia. La matière première est là, dans chaque foyer tunisien, chaque restaurant et hôtel…il suffit juste d’aller la récupérer. Rencontre avec cette Wonder Woman écolo.

Femmes de Tunisie : Parlez-nous de votre parcours ?

Ghalia Damak : Je suis diplômée de l’INSAT en informatique industrielle et automatique. À la fin de mes études d’ingénieur, j’ai décidé de partir en France pour faire les Arts et Métiers à Aix en Provence. J’ai obtenu ensuite un master en économie de l’énergie et gestion des ressources naturelles à l’université d’Aix-Marseille. En 2015, j’ai décidé de rentrer en Tunisie pour travailler dans l’environnement et les énergies renouvelables

FDT : Étiez-vous prédestinée à faire de la question environnementale votre cheval de bataille ?

GD : Le green me motivait dès mon jeune âge et indépendamment de ma formation d’ingénieur, je voulais travailler dans la préservation de l’environnement. D’ailleurs, je suis rentrée en Tunisie essentiellement pour pouvoir travailler dans le green et les énergies renouvelables. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, en France ce n’est pas un créneau très développé surtout en terme énergétique puisque c’est un pays plutôt nucléaire. Alors qu’ici, on a tout ce qu’il faut : le soleil, le vent… Je voulais que mon savoir et mes compétences soient mis au service du green puisque j’étais consciente de la problématique environnementale depuis mes années à la fac.

FDT : Comment vous est venue l’idée de lancer votre startup « Compo Roll » ?

GD : En fait, j’ai commencé par rejoindre l’entreprise familiale qui est la première station de compostage en Tunisie en faisant la valorisation des déchets verts avec les municipalités. J’ai travaillé pendant 5 ans dans les énergies renouvelables et j’ai réussi à créer des partenariats avec de grandes sociétés allemandes dans la mesure du vent. On avait d’ailleurs réussi à installer une dizaine de stations de mesure sur toute la Tunisie et même en Algérie. Malheureusement, à cause de la conjoncture et de la situation politique, on a eu des difficultés à faire prospérer le projet. Je me suis alors tournée vers l’unité de compostage de l’entreprise qui était en stand-by et me suis retrouvée avec des composteurs au design très sommaire et classique qui ne se vendaient pas. C’est là que m’est venue l’idée de créer des composteurs plus beaux et esthétiques. J’ai voulu innover en me spécialisant dans les composteurs rotatifs et c’est comme ça qu’est né Compo Roll : « Compo » pour Compost et « Roll » pour Rolling your waste.

FDT : En quelques mots, qu’est-ce que le compostage et quel en est l’intérêt ?

GD : le compostage est un procédé naturel de transformation des déchets organiques en une ressource. Il permet de valoriser les déchets à la source. Donc au lieu d’attendre que les agents de nettoyage des municipalités passent récupérer vos poubelles qui seront par la suite déposées dans des centres de transfert puis dans des décharges saturées, c’est vous qui valorisez vos déchets organiques depuis chez vous. Au final, tout le monde se retrouve gagnant : charge de travail en moins pour les municipalités (l’État), moins de déchets dans les décharges (l’environnement) et vous vous retrouvez avec un engrais très riche en matière organique utilisable pour les plantes (le consommateur).

FDT : Pouvez-vous nous parler de « Compo Roll » ?

GD : Compo Roll est une startup tunisienne récemment labellisée qui fournit des solutions pour la transformation de nos déchets organiques en une ressource. Nous avons conçu des composteurs domestiques modulaires (de 1 à 4 compartiments) -en fonction des besoins de la famille- et très faciles d’utilisation. Le compartiment peut contenir jusqu’à 2 mois de déchets pour une famille de 4 personnes d’où l’intérêt d’avoir d’autres compartiments vous permettant ainsi de réaliser plusieurs composts différents de manière simultanée ou décalée dans le temps. Et au bout de 4 à 6 mois, vous obtenez déjà votre compost prêt à l’emploi. Mais nous avons également dimensionné notre première machine pour valoriser un plus grand volume de déchets. Elle est d’ailleurs destinée aux hôtels, restaurants, municipalités, aéroports, hypermarchés, agriculteur…et sera très bientôt digitalisée.

FDT : Quel est l’intérêt pour les acteurs de la restauration et vos autres clients de faire appel à vos services ?

GD : Nous nous adressons aux restaurants et aux hôtels labellisés eco friendly qui font déjà le tri dans leurs déchets mais qui ont beaucoup de mal avec les déchets organiques. Grâce à nous, ils savent que tout va être acheminé vers une unité de compostage ce qui est très important quand on a ce type de label. Tous nos clients peuvent également recevoir leur compost qu’ils pourront utiliser dans leurs espaces verts ou le revendre (c’est le cas des hypermarchés par exemple).

FDT : Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées dans l’entreprenariat ?

GD : L’entreprenariat est un parcours semé d’embuches (rires). La première difficulté a été d’expliquer ce qu’est un composteur dans un pays où la question environnementale n’est pas ancrée dans les mentalités et où les gens ont du mal à changer leurs habitudes. Ensuite, il n’y a malheureusement aucune réglementation qui incite les acteurs de la restauration (hôtels et restaurants) à valoriser leurs déchets. Du coup, on compte beaucoup sur leur conscience. Sans parler de la lourdeur administrative et bancaire…

FDT : Quels sont pour vous les gros défis à venir dans la gestion des déchets organiques ?

GD : le plus grand défi c’est de pouvoir travailler main dans la main avec d’autres startups spécialisées dans le green et de passer à l’action ! Mais surtout, la résilience face à cette situation et ne pas perdre l’espoir de voir qu’un jour, les gens qui résistent au changement aujourd’hui finiront par changer leurs habitudes dans quelques années.

FDT : De quoi rêvez-vous pour l’avenir ?

GD : Je rêve de voir naître un jour une filiale de valorisation des déchets organiques en Tunisie comme dans les pays développés, qu’il y ait au moins une loi ou un décret dans ce sens. J’aimerais également que les gens puissent comprendre l’intérêt du compostage, qu’ils se reconnectent à la terre.

FDT : Qu’est-ce que vous aimeriez transmettre pour les générations futures ?

GD : Chez Compo Roll, nous avons un volet éducatif très important. Nous nous rendons d’ailleurs dans les écoles pour expliquer l’intérêt du compostage aux enfants et nous avons remarqué qu’ils étaient très attentifs et réceptifs. C’est très encourageant et motivant.

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